Mont Carmel
Le Mont Carmel (en hébreux: הר הכרמל Karem El/Har Ha'Karmel; en arabe: Kurmul/Jabal Mar Elyas) est une chaîne de montagnes côtière au nord d'Israël (39km de long, 8km de large et culminant à 525m), surplombant la ville de Haïfa et s'avançant majestueusement dans la mer Méditerranée comme la proue d'une éternelle et surhumaine "Arche de Noé". Son nom signifie littéralement "jardin/verger divin" et il est connu traditionnellement comme le "vignoble de Dieu". Depuis l'aube des temps, il fut considéré comme une terre sacrée et est actuellement l'un des lieux saints de la Foi bahá'íe.
Dans sa lente émergence de la nuit de l'ignorance et de la sauvagerie, l'Homme fut constamment guidé à travers les âges par la Lumière divine qui transforma certains lieux en "phares spirituels". Parmi ces innombrables lieux saints qui influencèrent le destin de l'humanité se trouvent le Mont Sinaï, où Moïse reçut les Tables de la Loi, le Golgotha, où fut crucifié Jésus, le Mont Hirá, où le Prophète Muḥammad reçut les premiers versets de la Révélation coranique, et aussi le Mont Moriah, où Abraham fut sur le point de sacrifier son fils, où fut placée l'Arche d'Alliance dans le Temple de YHWH, où Jésus-Christ prêcha et chassa les marchands du Temple, d'où enfin s'éleva le Prophète Muḥammad pour son voyage nocturne à travers les sept cieux. Il convient en notre époque d'y ajouter le Mont Carmel ...

Genèse
Différentes populations humaines
Les recherches archéologiques effectuées au nord de la Palestine permettent d’affirmer que 3 populations humaines distinctes occupèrent cette région au début du Pléistocène supérieur.
- Sur le site de Zuttiyeh, au nord-ouest du lac de Galilée, furent découverts des fragments de crâne d’homo sapiens archaïque n’ayant aucun lien avec les néandertaliens, et dont l’âge est estimé entre 200000 et 250000 ans.
- Dans les grottes de Tabun et de Kébara, situées sur les flancs du Mont Carmel, on trouva, entre autre, deux squelettes de type néandertalien âgés de 50000 à 60000 ans.
- Celles de Skhul, sur le flanc du Mont Carmel, et de Qafzeh, près de Nazareth, livrèrent de nombreux squelettes humains datant de 80000 à 100000 ans, dont l’aspect "moderne" et la grande stature les firent qualifier de "Proto-Cro-Magnons"
Première sépulture connue au monde
Mais la découverte la plus extraordinaire fut celle des préoccupations spirituelles et religieuses de ces hommes, comme le montra sans l’ombre d’un doute l’exploration des différentes tombes retrouvées. Ces pratiques funéraires, qui apparurent au cours de la période moustérienne, sont un fait de civilisation sans rapport avec le type des populations concernées car elles furent pratiquées aussi bien par les hommes de néandertal que par les hommes "modernes". Dans les sept sépultures considérées comme des inhumations certaines (trois à Skhul, trois à Qafzeh et une à Kébara), de nombreux signes témoignent de l’existence d’une culture symbolique, comme par exemple l’utilisation de coquillages perforés, de fleurs ou de poudre d’ocre rouge.
L’âge d’une des tombes de Qafzeh est estimé à 92000 ans, ce qui en ferait la plus ancienne sépulture connue actuellement dans le monde : il s’agit d’une fosse creusée dans le calcaire où fut inhumé le corps d’un adolescent, avec un bois de cerf intentionnellement déposé comme offrande en travers du cou. L’inhumation d’un homme adulte néandertalien dans la grotte de Kébara révéla d’autres informations très intéressantes : le squelette reposait dans une fosse mais le crâne avait disparu, bien que la mandibule, l’os hyoïde et les vertèbres cervicales étaient intacts et occupaient leurs positions anatomiques. Une étude détaillée révéla que les néandertaliens eux-mêmes avaient prélevé ce crâne après la disparition des chairs, et on n’a pu imaginer aucune raison autre que religieuse à une telle pratique. On constata aussi que l’aspect "moderne" de l’os hyoïde permettait d’envisager la possibilité d’un langage articulé pour cet homme de Neandertal[1][2]...
N’est-il pas extraordinaire de découvrir qu’en des temps immémoriaux le Mont Carmel et les régions environnantes exerçaient déjà une attirance sur des êtres aptes à la parole et préoccupés par l’éternel question de la vie et de la mort ?
YHWH est mon Dieu
Le Mont Carmel entra dans l’histoire religieuse des hommes comme le lieu de l’affrontement entre les prêtres païens de Baal et le Prophète Elie (Elijah), dont le nom signifie "YHWH est mon Dieu". Elie est vénéré à la fois par les communautés juive, chrétienne, musulmane et druze, qui s’associent avec ferveur pour célébrer sa fête, sur le Mont Carmel, tous les 20 juillet.
Récit Biblique
L’unité religieuse et politique du royaume de Salomon ne survécut pas à la mort de celui-ci en 928 av. JC et le pays se scinda en deux royaumes, Israël au nord avec Samarie comme capitale et Juda au sud avec Jérusalem, qui passèrent les premières décennies de leur existence à s’entre-déchirer. Cette guerre fratricide les affaiblit face aux peuples voisins et les força à composer entre eux et à rechercher des alliances à l’extérieur. C’est ainsi que le roi de Samarie Achab fils d’Omri régna de 874 à 852 av. JC et épousa Jézabel, fille du puissant roi phénicien de Sidon Ethbaal. Celle-ci introduisit à la cour les cultes païens de Baal et d’Astarté, et fit tuer les prêtres de YHWH[3]
Le couple royal s’attira ainsi les foudres de l’incorruptible et inflexible prophète Elie, "dévoré d’un zèle jaloux pour YHWH, Dieu de l’univers"[4]. Elie le Thischbite multiplia à leur encontre remontrances et menaces[5] et alla jusqu’à défier en duel, selon l’ordre de YHWH, les prêtres de Baal qu’il ridiculisa et extermina au Mont Carmel, démontrant ainsi l’inanité de leur culte[6]
Elie selon les juifs et les musulmans
Les juifs et les musulmans considèrent Elie sous deux aspects : d’une part comme un prophète qui lutta pour détourner son peuple du dieu Baal[7][8], et d’autre part, à cause de son ascension miraculeuse[9][10], comme un personnage mythique et légendaire servant d’intermédiaire entre le ciel et la terre, et venant visiter les hommes en secret pour les secourir et les éduquer.
Le Coran raconte la rencontre de Moïse avec un jeune homme inconnu, qui commet des actes apparemment injustes et insensés avant d’en expliquer à Moïse révolté la profonde sagesse[11]. Bien que le nom de ce jeune homme ne soit pas cité, la littérature musulmane ultérieure lui donna celui de El-Khader (le Vert ou l’Immortel) et l’associa au Prophète Elie. La tradition rabbinique rapporte une histoire très semblable dans la rencontre d’Elie avec Rabbi Yehoshua ben Levi.
Elie selon les chrétiens
Par sa vie et ses qualités, Elie est décrit dans la littérature patristique comme l’archétype du moine chrétien car il mena une vie solitaire dans le silence, le jeûne et la prière, volontairement soumis à la pauvreté, à la chasteté et à l’obéissance.
Elie est supposé vierge, il est célibataire, chaste et continent pour garder sa pureté. L’absence de charges familiales lui permet de vivre dans la solitude et la pauvreté pour se consacrer entièrement à Dieu et être soumis humblement et volontairement à Sa volonté, même si cela peut sembler parfois en contradiction avec les traditions les mieux établies, comme par exemple quand YHWH le fait nourrir par des corbeaux, animaux impurs[12], avec une viande d’origine inconnue et donc rituellement impure[13].
Vêtu de peaux de bêtes[14], Elie habite dans les lieux désertiques et les grottes du Mont Carmel et de l’Horeb[15], loin du monde, du mal et des persécutions de la reine Jézabel, dans le silence, la contemplation et la prière, se nourrissant frugalement quand il ne jeûne pas, car une ascèse est nécessaire pour conserver sa "virginité", se détacher du monde et purifier son cœur avant de rencontrer Dieu[16].
Cette vie de détachement n’exclut nullement la solidarité envers les pauvres comme la veuve de Sarepta[17], et une grande liberté de parole envers les puissants quand il faut dénoncer l’injustice, comme dans le cas de Naboth[18], ou proclamer la parole de Dieu. Cette pauvreté matérielle est en fait une richesse spirituelle et un abandon en Dieu, qui pourvoit à tous les besoins[19] et confère la vie éternelle en permettant l’enlèvement au ciel d’Elie dans un tourbillon de feu devant les yeux de son disciple Elisée[20], sa présence lors de la transfiguration de Jésus-Christ[21] et son retour avant l’Avènement du Messie[22].
Elie est une des grandes figures de la Bible dont la prière est efficace, que ce soit pour attirer du ciel l’eau ou le feu[23], la vie ou la mort[24]. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que des ermites vinrent s’établir sur le Mont Carmel, près de la source d’Elie, pour communier avec l’esprit du prophète en se recueillant sur les lieux où il vécut.
Sites du Mont Carmel en rapport avec Elie
Les traditions et légendes locales relient particulièrement le Prophète Elie avec quatre sites de la chaîne montagneuse du Mont Carmel, qui s’étire sur 25 km de long et 6 km de large: la caverne basse creusée à la base occidentale du promontoire, la caverne haute située sur l’esplanade du promontoire, la source d’Elie située à l’entrée de la vallée du Wadi ’ain es-Siah, et le point culminant (482m) du Carmel appelé en arabe El-Muhraqa.

- Le sommet du Mont Carmel est traditionnellement lié au lieu de la défaite des prêtres de Baal par le prophète Elie (El-Muhraqa = le lieu du sacrifice). On y trouve un monument mégalithique constitué d’un cercle de 12 grandes pierres avec au centre une citerne creusée dans la roche, qui était un lieu de pèlerinage pour les hébreux. A l’époque byzantine, des moines y habitaient dans les grottes environnantes, puis les arabes y érigérent un petit sanctuaire dont les ruines furent visibles jusqu’au 19ème siècle. Au sommet du mont s’élève actuellement une chapelle dédiée à Saint Elie, devant laquelle se dresse la statue du Prophète.
- La Caverne Haute : L’historien romain Tacite rapporte que le Mont Carmel fut un haut lieu religieux depuis la haute antiquité et probablement lié au culte du Baal Hadad du Carmel. Certaines légendes assurent même que Pythagore aimait se retirer sur le Mont Carmel pour y méditer[25]. A l’époque romaine, le culte de Jupiter Carmelus Heliopolitanus y fut apparemment célébré. La caverne haute est mentionnée pour la première fois par des auteurs byzantins en rapport avec le monastère de Sainte Marguerite construit durant le 5ème ou 6ème siècle, et détruit par les Perses de Khosro II Parviz en 614.
- La Source d'Elie : Des recherches archéologiques récentes ont mis à jour les imposants vestiges d’un monastère avec ses dépendances et d’une chapelle près de la source d’Elie qui jaillit dans la vallée du Wadi ‘ain es-Siah. Il s’agit probablement des ruines du premier monastère érigé par les ermites latins, et en faveur duquel le pape Urbain IV publia en 1263 un bulle recommandant aux fidèles de contribuer financièrement à la construction.
- La Caverne Basse : La caverne basse, surnommée "l’école des prophètes", renferme plusieurs centaines de graffitis grecs païens datant probablement du 2ème siècle av. JC et témoignant qu’à l’époque hellénique elle a pu être le centre d’un culte dédié à Adonis ou Tammouz et lié à la fertilité. Au 1er siècle de l’ère chrétienne, Vespasien, alors commandant en chef des légions romaines durant la guerre contre les juifs, y fit pratiquer des sacrifices pour savoir si les augures étaient favorables à ses visées impériales. Au 6ème siècle, les Byzantins édifièrent sur ce site le monastère de Saint Elie, en même temps que celui de Sainte Marguerite sur le l’esplanade du promontoir. Puis une petite église fut ensuite construite à l’extérieure de la caverne durant les croisades et dans le flanc gauche de cette grande caverne fut creusé un oratoire dédié à la Madonne, car selon la légende la Sainte Famille y aurait passé une nuit en revenant de son exil en Egypte. L’époque arabe apporta de nouvelles légendes concernant El-Khader (le Vert ou l’Immortel) et la vénération du site par les Druzes et les Arabes. Après avoir été un sanctuaire successivement païen, chrétien et musulman, cette grande caverne d’Elie longtemps négligée des juifs est aujourd’hui transformée en synagogue.
Ascension du Carmel sur les ailes de l'Esprit
Le mont Carmel vit la naissance de l'ordre monastique catholique des Carmes, qui produisit deux grands mustiques et "Docteurs de l'Eglise" : Saint Jean de la Croix (1542-1591) et Sainte Thérèse d'Avila (1515-1582). Saint Jean de la Croix écrivit le chef-d'oeuvre mystique intitulé "Monte Carmelo".
Premiers Ermites Latins
Les premières notices historiques sur la réunion d’ermites latins au Mont Carmel se trouvent dans le livre du moine grec Phocas, rédigé en 1185[26]. Après avoir donné quelques informations sur la montagne sainte, Phocas écrit : "En cet endroit, il y eut autrefois un grand édifice dont les ruines existent encore ; le temps qui n’épargne rien et les invasions ennemies l’ont presque entièrement détruit. Depuis peu de temps, un moine aux cheveux blancs, revêtu de la dignité sacerdotale et venu de Calabre, fixa sa demeure à la suite d’une vision du prophète Elie, dans les masures de cet édifice ; il y construisit un petit rempart avec une tour et une chapelle et réunit environ dix frères autour de lui ; il y habite encore aujourd’hui;"
Pour sa part, Benjamin de Tuleda, qui visita les lieux saints en 1163, rapporte qu’en son temps il existait déjà une chapelle près de la grotte d’Elie, bâtie en l’honneur du prophète par deux fils d’Edom (c’est ainsi qu’il désignait Aymeric et Berthold).
Et Jacques de Vitry, évêque de Saint Jean d’Acre, écrit vers 1220, que "d’autres ermites, à l’exemple et à l’imitation du prophète Elie, homme saint et solitaire, vivaient dans la retraite sur le Mont Carmel, principalement dans cette portion de montagne qui domine la ville de Porphyre appelée aujourd’hui Caïffa (Haïfa) ; ils habitaient de petites cellules dans les rochers, auprès de la fontaine d’Elie, et non loin du monastère de la bienheureuse Marguerite, tels que des abeilles du Seigneur, faisant un miel d’une douceur toute spirituelle."[27]
Les fouilles archéologiques effectuées sur le Mont Carmel font penser qu’à l’époque des croisades le couvent originel des ermites latins se trouvait à côté de la source d’Elie, à l’entrée du vallon du Wadi ‘ain es-Siah, alors que l’esplanade du promontoir était plutôt occupée par les moines grecs orthodoxes qui reconstruisirent un petit monastère sur les ruines de l’ancien.
N’ayant pas de saint fondateur comme les autres congrégations, les ermites du Mont Carmel se consacrèrent à la Vierge Marie et firent remonter leurs origines à Elie et Elisée par une succession ininterrompue d’anachorètes considérés comme les "Carmes de l’Ancienne Alliance"[28], tels que les esséniens et les thérapeutes dont parlèrent Pline, Josèphe, Philon et Eusèbe. La tradition carmélitaine donne au fondateur historique de la congrégation des ermites du Mont Carmel le nom de Berthold de Solignac (+1198), qui aurait été parent d’Aymeric de Malifaye, patriarche d’Antioche (1141-1193 ?).
Son successeur, Broccard, demande et obtient vers 1207 du patriarche de Jérusalem, Saint Albert de Verceil, une règle très courte et mieux adaptée à leur vie érémitique et contemplative que celle de Saint Augustin apparemment suivie jusqu’alors. Dans cette règle originelle, il est ordonné "d’avoir un prieur, d’avoir des cellules séparées les unes des autres, d’y demeurer et d’y vaquer jour et nuit à l’oraison, d’y réciter les Heures ou des Pater, si l’on ne sait pas lire, de bâtir un oratoire au milieu des cellules pour y entendre la messe en commun chaque matin, de tenir châpitre chaque dimanche, de jeûner de l’Exaltation de la Sainte Croix à Pâques, de faire abstinence perpétuelle, de travailler de ses mains, de garder le silence de Vêpres à Tierce du jour suivant."[29]
Malheureusement, cette règle n’eut pas le temps d’être officiellement approuvée avant le 4ème Concile de Latran (1215) qui interdit d’établir de nouveaux ordres religieux dans l’Eglise, et les ermites du Carmel furent contraints de lutter pour survivre face aux prélats de Terre Sainte qui contestaient leur existence en tant que congrégation. La confirmation tant attendue survint enfin le 30 janvier 1226, selon la légende après que le pape Honorius III eut été sévèrement admonesté par une apparition de la Vierge Marie, sous la protection de laquelle s’étaient placés les ermites du Carmel. Cette règle primitive fut de nouveau confirmée en 1229 par le pape Grégoire IX, qui interdit cependant aux Carmes de recevoir des biens immobiliers et des rentes, infléchissant ainsi l’évolution de l’ordre initialement érémitique en ordre mendiant.
Les Carmes ne se répandirent que très lentement en Terre Sainte et dès 1238, à la suite des revers militaires éprouvés par les Croisés, ils commencèrent d’essaimer en Occident. Bien qu’épargnés dans un premier temps par les musulmans, sans doute à cause de leur vénération pour le prophète Elie, les Carmes perdirent les uns après les autres tous leurs établissements de Palestine et de Syrie jusqu’à la prise de Saint-Jean-d’Acre avec le destruction finale du Monastère du Carmel et le massacres de tous ses moines en 1291. Cet événement tragique marqua la fin de la présence des Carmes en Orient pour plusieurs siècles.
L'Ordre des Carmes en Europe
Replié en Europe, l’ordre se propagea rapidement à travers la chrétienté mais dut s’adapter aux conditions de vie occidentales et la règle fut modifiée par Saint Simon Stock, puis définitivement approuvée vers 1247 par une bulle du pape Innocent IV définissant l’appellation officielle des "Frères de Notre-Dame du Mont Carmel".
Le 2ème Concile de Lyon (1274), qui supprima de nombreuses communautés, mis une nouvelle fois en péril l’existence de l’Ordre de Carmes, mais celui-ci survécut finalement grâce au soutient des papes Honorius IV et Boniface VIII. Les Carmes subirent l’influence des Dominicains et modelèrent leurs institutions sur les leurs, orientant leur ordre initialement mendiant et contemplatif vers l’enseignement et les missions.
Le pape Eugène IV se vit contraint d’adoucir en 1431 les rigueurs de la règle originelle, ce qui entraîna une scission entre les "observantins" et les "conventuels ou mitigés". La branche féminine des Carmélites fut fondée en 1451 par Jean Soreth, réformée par Sainte Thérèse d’Avila puis approuvée par le pape Pie IV en 1562.
Pour palier les nombreux dérèglements survenus dans l’ordre monastique au fil du temps et retrouver l’esprit originel, une réforme fut effectuée en 1564 par Saint Jean de la Croix (1542-1591), selon les conseils et sous l’influence de Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582). Ainsi furent fondés les "Carmes déchaux ou déchaussés", ainsi appelés parce qu’ils allaient pieds nus dans leurs sandales. Ces Carmes de la nouvelle observance furent affranchis de toute dépendance à l’égard de l’ancien ordre par le pape Clément VIII en 1593.
Retour en Terre Sainte
Malgré plusieurs tentatives au cours des siècles, l’ordre ne put reprendre définitivement pied sur le Mont Carmel que le 29 novembre 1631, lorsque l’émir Ahmed Turabay accorda au carme déchaux Prosper du Saint-Esprit (Martin Garayzabal) l’autorisation de reconstruire un couvent sur le Mont Carmel.
Celui-ci aménagea d’abord pour la vie communautaire quelques grottes situées aux alentours de "l’école des prophètes", mais dû bientôt chercher un autre emplacement à cause de l’hostilité des mulsulmans qui considéraient que ce sanctuaire était le leur. Il choisit et aménagea donc en couvent une autre grotte située plus haut sur la pente du promontoir et appelée la "grottes des disciples d’Elie", où les Carmes déchaux vécurent durant 130 ans.

Au terme d’une lutte d’influence contre les moines grecs orthodoxes et les religieux musulmans, les Carmes déchaux reçurent finalement en 1767 l’autorisation de reconstruire un monastère sur l’esplanade du promontoire, au dessus de la caverne haute d’Elie. Des rapports postérieurs aux croisades racontent que des visiteurs entraient dans cette caverne par le dessus pour voir le lit de pierre d’Elie. D’autres rapports du 17ème siècle indiquent que l’on creusa d’abord une fenêtre, puis une porte, et que finalement tout le pan rocheux occidental fut entièrement enlevé, y compris le passage par où Elie descendait probablement dans son lieu de retraite. Le carme déchaux Jean-Baptiste de Saint Alexis (Bertoldo Antonio Gioberti) reconstruisit de 1767 à 1774 un monastère avec une chapelle, dont le maître autel fut élevé à l’aplomb de cette grotte. Eglise et monastère furent dynamités en 1821 par ‘Abdu’lláh Páshá et reconstruits par le carme déchaux Jean-Baptiste du Très Saint Sacrement (Charles Casini) de 1827 à 1836. Le complexe actuel est communément appelé "Stella Maris", d’après le nom du phare voisin construit en 1867.
Voie Mystique du Carmel
Les hommes et les femmes qui suivirent la voie du Carmel le firent en réponse à une triple vocation : humaine, baptismale et monastique.
Une vocation humaine à la création en participant à l’œuvre de Dieu, pour que Son amour et Sa justice soient manifestées sur terre malgré le péché originel. La règle du Carmel rend obligatoire la travail manuel ou intellectuel pour participer à l’évolution du monde[30], gagner ses moyens de subsistance[31], et se tenir éloigné de l’oisiveté et des tentations du Malin. Mais ce travail doit être effectué en silence et dans un esprit de service pour devenir une ascèse conduisant à la liberté du corps, du cœur et de l’esprit sans laquelle il n’y a pas d’évolution spirituelle.
La vocation baptismale est de vivre en Jésus-Christ et de suivre son exemple avec foi et espérance. C’est cette foi qui guide l’amant à travers le vide et l’obscurité des sens et de l’esprit jusqu’à la beauté de l’Aimé, comme l’a décrit Saint Jean de la Croix dans ses œuvres mystiques « la Montée du Carmel » et « la Nuit Obscure », car Dieu est tellement lumineux qu’Il en devient pour nous ténèbres, « comme l’éclat du soleil aveugle la chauve-souris ».
C’est cette foi qui justifie et permet de prononcer les vœux de chasteté, de pauvreté et d’obéissance de la vocation monastique. Cette démarche n’est pas une soumission passive à une contrainte extérieure mais un choix libre et conscient d’abandon à la volonté divine, dépouillant le cœur de tout ce qui n’est pas Dieu, le transformant en temple du Saint-Esprit[32].
La règle du Carmel tente d’harmoniser deux modes de vie apparemment incompatibles : la vie érémitique et contemplative d’une part, la vie cénobitique et apostolique d’autre part. Le silence quotidien, la solitude des cellules monacales et la clôture isolant le monastère du reste du monde permettent la vie de prière et de contemplation indispensable pour être à l’écoute du souffle divin, mais le véritable silence s’épanouit dans l’annonce de la Parole de Dieu[33], et la solitude authentique s’élargit en une communion mystique universelle. La vie du Carmel est une vie dans l’Eglise, avec l’Eglise, pour l’Eglise - ce "corps vivant" du Christ qui embrasse le monde entier dans l’universel - et les forces puisées dans la prière et la contemplation trouvent leur accomplissement dans la vie missionnaire et l’enseignement.
Ainsi vécurent les religieux du Carmel, générations après générations, contemplant et chantant les merveilles de Dieu, œuvrant pour qu’apparaissent enfin de "nouveaux cieux" et une "nouvelle terre"[34], et priant pour que le Christ revienne bientôt "dans la gloire de son Père"[35].
Le Carmel vit la "Gloire de YHWH"
Le Bàb

La Perse du 19ème siècle agonisait dans les ténèbres de l’ignorance, du fanatisme et de la corruption. Mais dans la nuit du 22 au 23 mai 1844, une lumière éblouissante dissipa cette obscurité spirituelle, un tremblement de terre éventra les sépulcres des dogmes poussiéreux et la Parole de Dieu ramena les morts à la vie[36].
Cette nuit-là, un jeune marchand persan de Shíráz nommé Siyyid Mírzá ‘Alí Muḥammad et surnommé le Báb ( en arabe : "La Porte", 1819-1850 ) annonça qu’il était le Qá’im attendu par tous les musulmans au Jour de la Résurrection. Sa parole se répandit comme un feu à travers la Perse et entraîna immédiatement de la part des autorités politiques et ecclésiastiques une persécution d’une cruauté et d’une sauvagerie inouïes. Après des années d’emprisonnement, le Báb fut fusillé à Tabríz le 9 juillet 1850.
En apparence, le feu allumé par le Báb dans le cœur des hommes n’avait produit que des cendres, mais sur cette terre calcinée il sema l’espoir de la venue imminente du "Promis de tous les Âges". Comme Saint Jean-Baptiste, le Báb annonça la venue de la Lumière de Dieu sur terre, et comme lui, il traça les mots de cette bonne nouvelle avec son sang[37].
Bahá'u'lláh

Parmi les plus éminents disciples du Báb se trouvait Mírzá Ḥusayn ‘Alí Núrí (1817-1892), fils d’un ministre du Sháh, qui fut enchaîné durant plusieurs mois dans la sinistre prison souterraine de Téhéran, à la suite de la tentative d'assassinat du roi de Perse Náṣiri’d-Dín Sháh Qájár (1831-1896). C’est dans ce Síyáh-Chál (la "fosse" ou le "trou noir"), vers la fin de l’année 1852, qu’une révélation mystique lui fit prendre conscience de son rôle messianique et adopter le surnom de Bahá’u’lláh, ce qui signifie en arabe "la Gloire, la Splendeur, la Lumière de Dieu".
Considérant son illustre lignage et de ses relations influentes, ses persécuteurs eurent peur de l’exécuter comme ses compagnons. Ils se résignèrent à l’exiler le plus loin possible à travers le Moyen-Orient, de Téhéran jusqu'au Mont Carmel, en espérant sa mort. N’est-il pas étonnant de constater que l’on puisse suivre pas à pas sa destinée à travers certains passages de l’Ancien Testament ?
Ainsi, Esaïe prophétisa que : "Bientôt celui qui est courbé sous les fers sera délivré ; il ne mourra pas dans la fosse, et son pain ne lui manquera pas. Je suis l’Eternel, ton Dieu, qui soulève la mer et fais mugir les flots. L’Eternel des Armées est son nom. Je mets mes paroles dans ta bouche, et je te couvre de l’ombre de ma main, pour étendre de nouveaux cieux et fonder une nouvelle terre, et dire à Sion : tu es mon peuple !"[38]
Et dans son livre, Ezéchiel révèle qu’après avoir quitté le Temple, la "Gloire de Dieu" (en arabe : Bahá’u’lláh) y revient en passant par la porte (en arabe : Báb) qui était du côté de l’Orient, pour y résider éternellement[39]. Ezéchiel raconte que c’est la troisième fois qu’il a cette vision de la "Gloire de Dieu", où il discerne comme une "figure d’homme"[40]. Bien que cette prophétie fut faite durant l’exil de Juda à Babylone, il semble difficile de la rapporter uniquement à l’édification matérielle du second Temple, puisque celui-ci fut détruit complètement, alors que la "Gloire de Dieu" doit y résider éternellement parmi les hommes. Ne peut-on y voir plutôt l’annonce symbolique de la venue de l’Esprit de Dieu dans un "Temple humain", un "Prophète", comme le fit Jésus en se comparant au Temple ou à la Porte par laquelle arrive le salut ?[41]
Enfin, le Prophète Michée[42] annonça encore plus précisément à Israël que :
- "Le jour où l’on rebâtira tes murs, ce jour-là tes limites seront reculées"". Or, dans la seconde moitié du 19ème siècle, les juifs commencèrent à revenir en Palestine pour rebâtir leur pays, et un mouvement missionnaire chrétien d’une ampleur sans précédent propagea la connaissance de la Bible à travers le monde entier.
- "En ce jour, on viendra vers toi de l’Assyrie et des villes d’Egypte, de l’Egypte jusqu’au fleuve, d’une mer à l’autre, et d’une montagne à l’autre". A la même époque, Bahá’u’lláh fut exilé de Téhéran à Bagdad (1853-1863), où il se retira un temps comme ermite dans les montagnes du Kurdistan (1854-1856). Puis il traversa l’antique Assyrie et la Mer Noire jusqu’à Constantinople (Istanbul) et Andrinople (Edirne dans la Turquie d'europe, 1863-1868), et enfin la Méditerranée jusqu’à l’Egypte et la Palestine, où il fut exilé jusqu’à sa mort à Saint-Jean-d’Acre (‘Akká ou Akko, 1868-1892), près du Mont Carmel et d’un fleuve côtier.
- "Le pays sera dévasté à cause de ses habitants, à cause du fruit de leurs œuvres. Pais ton peuple avec ta houlette, le troupeau de ton héritage, qui habite solitaire dans la forêt au milieu du Carmel ! Qu’ils paissent sur le Basan et en Galaad, comme aux jours d’autrefois. Comme au jour où tu sortis du pays d’Egypte, je te ferai voir des prodiges". Tout comme il s’écoula 40 ans entre la sortie d’Egypte et l’entrée dans la Terre Promise de Canaan, le ministère de Bahá’u’lláh dura 40 années (1852-1892) durant lesquelles il fut le "Bon Pasteur" du Carmel et révéla des prodiges.
Bahá’u’lláh affirma sans ambiguïté, avec force et constance, qu’il est le "Promis de tous les Âges", attendu par les fidèles de chaque religion pour établir, à la "fin des temps", "l’âge d’or" ou le "royaume de Dieu" sur terre : il est le Messie fils de David "Eternel des Armées" pour les juifs, le retour de Jésus-Christ pour les chrétiens et les musulmans, Sháh Bahrám pour les zoroastriens, le 5ème Bouddha Maytreya pour les bouddhistes et le 10ème Avatar de Krishna pour les hindouistes[43].
Sacrifiant ses biens et sa liberté, endurant avec patience les maux du corps causés par les mauvaises conditions de détention et une tentative d’empoisonnement, et les maux du cœur infligés par la haine et la trahison de son entourage, Bahá’u’lláh répandit à travers le Moyen-Orient son message de paix, d’amour et de justice[44]. L’aura qui émanait de sa personne et la douceur de ses paroles étaient telles qu’il entrait dans chaque ville comme une bête enchaînée en proie à l’animosité de tous et en repartait comme un souverain régnant sur les cœurs de ses anciens ennemis.
Ce n’est qu’en 1863, à Bagdad, que Bahá’u’lláh révéla à son entourage la réalité de sa Mission divine reçue 10 ans plutôt dans la prison souterraine de Téhéran, et il attendit jusqu’en 1867, lors de son exil à Andrinople, pour l’annoncer au monde entier par une succession de lettres et d’épîtres adressées aux chefs politiques et religieux des grandes puissances de l’époque.
Bahá’u’lláh estime lui-même que l’ensemble de ses Ecrits occupe une centaine de volumes, dont le cœur est constitué par les épîtres appelées Kitáb-i-Íqán (le Livre de la Certitude, 1862) et Kitáb-i-Aqdas (le Livre le Plus Saint, 1873), ainsi que par les Tablettes révélées après ce dernier. L’essence de son message est "l'unité dans la diversité" : unicité de Dieu, unité des "prophètes" et des religions, unité de l'humanité biologiquement, socialement et spirituellement. Il annonce que l’Humanité est actuellement au seuil d’une civilisation mondiale et il est devenu évident que les anciennes normes ne réussiront pas à résoudre ses problèmes actuels et qu'elle a besoin d’une religion nouvelle ou "rénovée" pour réaliser son unité et sa transformation à l’échelle de la planète. Déclarant être le "Messager" divin pour notre époque, Bahá’u’lláh donne dans le Kitáb-i-Aqdas et les Tablettes complémentaires révélées postérieurement des recommandations et des lois nouvelles pour que l’Humanité guérisse de ses maux et atteigne sa maturité dans l’amour, la paix, l’unité et la justice. Tout comme une graine minuscule contient en puissance l’arbre le plus parfait avec toutes ses branches, ses feuilles, ses fleurs et ses fruits, ce "plan divin" fera naître peu à peu une nouvelle société d’une inconcevable grandeur, accomplissant ainsi les prophéties de l’Ancien et du Nouveau Testaments…[45]


Le message de Bahá’u’lláh fut considéré à l’époque comme les rêveries fantaisistes d’un utopiste, mais l’évolution historique et sociale des 150 dernières années en démontra pleinement la valeur et l’exactitude. De "nouveaux cieux" et une "nouvelle terre" apparurent vraiment à partir de 1844, car les connaissances de l’humanité évoluèrent plus au cours de cette période que dans les millénaires précédents. Tout se passa comme si une éruption de sève spirituelle avait subitement fait éclore une floraison de nouvelles connaissances et apporté une moisson de progrès scientifiques, techniques et culturels. La découverte et l’application des forces cachées de la nature dans les domaines de l’énergie, du transport, des communications, de l’industrie et de la médecine transformèrent l’homme en démiurge et son monde en un "village planétaire". Les conflits sociaux et militaires successifs, qui ébranlèrent les autorités traditionnelles et disloquèrent les anciens empires, suscitèrent la reconnaissance universelle des "Droits de l’Homme" et la prise de conscience d’une mondialisation inexorable dans tous les domaines de l’activité humaine. Les hommes revendiquent et conquièrent pas à pas le droit aux soins et à l’éducation pour tous, la protection des enfants et des travailleurs, la libération de la femme et l’abolition de l’esclavage, et enfin le droit de vote dans un système politique démocratique assurant la liberté de conscience et d’expression. Ils abandonnent progressivement les préjugés ancestraux et instaurent des organisations supranationales (SDN, ONU, UE) pour tenter d’assurer la paix grâce à une coopération et à un dialogue intercommunautaires.
Bahá’u’lláh arriva à Saint-Jean-d’Acre (‘Akká) le 31 août 1868 et fut sévèrement incarcéré dans la caserne de cette ville jusqu’au 23 juin 1870. Il fut alors autorisé à en sortir pour vivre en résidence surveillée dans la ville-même, et finalement, à partir de septembre 1879, en dehors de la ville dans le manoir de Bahjí. Bahá’u’lláh visita pour la première fois Haïfa en août 1883, puis il y revint au printemps 1890 et en été 1891. C’est durant cette dernière période qu’il planta sa tente sur le Mont Carmel, comme point d’orgue à une longue et ancienne tradition, et indiqua lui-même le lieu où sera élevé le Mausolée du Báb. Un jour de l’été 1891, il gravit le promontoire du Carmel et dressa sa tente à quelques centaines de mètres à l’est du monastère des carmes qu’il visita, ainsi sans doute que la caverne d’Elie. C’est à l’emplacement de ce campement qu’il révéla la "Tablette du Carmel" (Lawḥ-i-Karmil), et que juste à l’est de celui-ci sera construit le futur Temple (Mashriqu’l-Adhkár) du Centre Mondial Bahá’í.
Bahá’u’lláh s’éteignit le 29 mai 1892 au manoir de Bahjí, où il est inhumé. Son testament, ouvert et lu 9 jours plus tard devant témoins, désigna son fils ‘Abdu’l-Bahá (Serviteur de Bahá, 1844-1921) comme successeur et unique interprète autorisé de ses Ecrits.
`Abdu'l-Bahá 'Abbás

Après des années d’efforts et de tourments, ce dernier fit élever à l’endroit indiqué par son Père le mausolée destiné à accueillir les saintes reliques du Báb, qui avaient été recueillies subrepticement la nuit-même de son exécution et cachées successivement en différents lieux jusqu’en 1898. Elles furent transférées en Terre Sainte le 31 janvier 1899 et furent finalement déposées dans le sarcophage de marbre du mausolée le 21 mars 1909. Le mausolée du Báb devint alors "un foyer d’illumination et de pouvoirs divins,…sur ce Vignoble de Dieu (Carmel) considéré comme sacré depuis des temps immémoriaux, flanqué à l’ouest par la Caverne d’Elie, à l’est par les montagnes de Galilée (que parcourut le Christ), …et face à la cité de Saint Jean d’Acre au-delà de laquelle se trouve le Tombeau le plus sacré, le Cœur, la Qiblih du monde bahá’í."[46]
La révolution des Jeunes Turcs libéra ‘Abdu’l-Bahá de sa prison en 1908 et lui permit de voyager à travers l’Europe et l’Amérique du Nord de 1911 à 1913 pour répandre le Message de son Père. Il revint en Terre Sainte à la veille de la première Guerre Mondiale, durant laquelle ses conseils avisés et son action énergique sauvèrent de la famine les habitants de la région. Il en fut remercié par les autorités britanniques, qui lui conférèrent le titre de Chevalier (Sir ‘Abdu’l-Bahá ‘Abbás, K.B.E.) le 27 avril 1920.
Le 14 février 1914, ‘Abdu’l-Bahá fit à Haïfa une prophétie concernant les deux villes jumelles de Saint Jean d’Acre (‘Akká) et de Haïfa :
"Plus tard, l’immense étendue qui sépare ‘Akká de Haïfa sera recouverte de bâtiments, les deux cités se rejoindront, se serrant les mains, formant les deux extrémités d’une puissante métropole. En regardant maintenant ce paysage, je vois clairement qu’il deviendra l’un des premiers centres commerciaux du monde. Cette grande baie semi-circulaire sera transformée en une rade splendide où les vaisseaux de tous pays viendront chercher abri et refuge. De grands navires venant de partout aborderont dans ce port, leurs ponts chargés de milliers et de milliers d’hommes et de femmes de toutes les parties du globe. La montagne et la plaine seront dotées de palais et d’édifices des plus modernes. Des industries s’y développeront et plusieurs institutions à caractère philanthropique y seront fondées. Les fleurs des diverses civilisations et des cultures de toutes les nations seront implantées ici pour y mêler leurs parfums et illuminer la voie de la fraternité humaine. Des vergers, des jardins, des bosquets et des parcs merveilleux seront aménagés partout. Pendant la nuit, la grande ville sera entièrement illuminée à l’électricité. Le port d’Akká à Haïfa formera une traînée lumineuse. Des phares puissants placés des deux côtés du Mont Carmel guideront les navires dans la rade. Le Mont Carmel lui-même sera submergé de haut en bas par un océan de lumière. Du sommet du Mont Carmel et des ponts des paquebots qui s’en approcheront, on assistera au plus sublime et au plus majestueux spectacle du monde. Des hauteurs de la montagne, la symphonie de louanges « Yá Bahá’u’l-Abhá » résonnera ; et dès avant l’aurore, une musique pénétrant l’âme, accompagnée de voix mélodieuses, montera vers le trône du Tout-Puissant. En vérité, les voies de Dieu sont mystérieuses et impénétrables. Quelle relation apparente existe-t-il entre Shíráz et Téhéran, Bagdad et Constantinople, Andrinople, ‘Akká et Haïfa ? Dieu a travaillé patiemment, pas à pas, à travers ces diverses villes, selon son propre plan, précis et éternel, afin que s’accomplissent les prophéties et les prédictions des prophètes. Le fil d’or des promesses réservées au millenium messianique se déroule à travers toute la Bible, et il était écrit que Dieu le fît paraître à son heure. Pas un seul mot ne restera privé de sens ni d’accomplissement."[47]
‘Abdu’l-Bahá s’éteignit à Haïfa le 28 novembre 1921 et fut inhumé dans une des pièces du mausolée du Báb. Avec lui s’achevait "l’âge héroïque ou apostolique" de la Foi bahá'íe et commençait celui de "l’âge de formation ou de transition" avec son petit-fils Shawqí Afaní Rabbání (1897-1957), qu’il désigna dans son testament comme le "Gardien de la Cause de Dieu" (Valí Amr'ulláh) et unique interprète de ses écrits et de ceux de Bahá’u’lláh.
Shoghi Effendi

Shoghi Effendi poursuivit l’œuvre entreprise par ses aïeux en affermissant et développant la Foi Bahá’íe à travers le monde, aidé par d’éminents collaborateurs appelés les "Mains de la Cause de Dieu". Il travailla aussi à concrétiser la vision de ’Abdu’l-Bahá en débutant de gigantesques travaux d’aménagement du Mont Carmel, en particulier l’embellissement du Mausolée du Báb et des jardins alentours, accomplissant ainsi les prophéties d’Esaïe :
"Je ferai jaillir des fleuves sur les collines, et des sources au milieu des vallées ; je changerai le désert en étang, et la terre aride en courants d’eau ; je mettrai dans le désert le cèdre, l’acacia, le myrte et l’olivier ; je mettrai dans les lieux stériles le cyprès, l’orme et le buis, tous ensemble ; afin qu’ils voient, qu’ils sachent, qu’ils observent et considèrent que la main de l’Eternel a fait ces choses, que le Saint d’Israël en est l’auteur."[48]
"Lève-toi, sois éclairée, car ta lumière arrive, et la gloire de l’Eternel se lève sur toi. Voici, les ténèbres couvrent la terre, et l’obscurité les peuples ; mais sur toi l’Eternel se lève, sur toi sa gloire apparaît. Des nations marchent à ta lumière, et des rois à la clarté de tes rayons. La gloire du Liban viendra sur toi, le cyprès, l’orme et le buis, tous ensemble, pour orner le lieu de mon sanctuaire, et je glorifierai la place où repose mes pieds."[49]
Shoghi Effendi s’éteignit à Londres le 4 novembre 1957 et est enterré dans le cimetière londonien de New Southgate. Depuis sa mort, plus personne ne détient l’autorité d’interprétation des Ecrits bahá’ís et la direction de la Communauté est devenue collégiale, temporairement d’abord avec les "Mains de la Cause de Dieu", puis définitivement le 21 avril 1963 après la première élection des neuf membres composant la "Maison Universelle de Justice".
Maison Universelle de Justice

Cette institution fut décrétée par Bahá’u’lláh dans le Kitáb-i-Aqdas pour guider la Communauté et légiférer sur les points où les Ecrits sont restés silencieux. Cette instauration de la "Maison Universelle de Justice" sur le mont Carmel coïncida avec le centenaire de la révélation que fit Bahá’u’lláh de sa mission à Baghdád, en 1863, et réveilla les échos lointains des paroles d’Esaïe :
"Il arrivera, dans la suite des temps, que la montagne de la maison de l’Eternel sera fondée sur le sommet des montagnes, qu’elle s’élèvera par-dessus les collines,et que toutes les nations y afflueront."[50]
"Je rétablirai tes juges tels qu’ils étaient autrefois, et tes conseillers tels qu’ils étaient au commencement. Après cela, on t’appellera ville de la justice, Cité fidèle."[51]
"Le palais est abandonné, la ville bruyante est délaissée ; la colline et la tour serviront à jamais de cavernes ; les ânes sauvages y joueront, les troupeaux y paîtront, jusqu’à ce que l’Esprit soit répandu d’en haut sur nous, et que le désert se change en verger, et que le verger soit considéré comme une forêt. Alors la droiture habitera dans le désert, et la justice aura sa demeure dans le verger (Carmel). L’œuvre de la justice sera la paix, et le fruit de la justice le repos et la sécurité pour toujours."[52]

Dès lors, les travaux sur le Mont Carmel n’ont pas cessé pour que le grandiose projet architectural et spirituel du "Centre Mondial Bahá’í" soit mené à son terme le 22 mai 2001, pour le 158e anniversaire de la naissance de la Foi Bahá’íe et l'entrée dans le troisième millénaire symboliquement chargé de terreur et d’espoir.
Marquera-t-il réellement la "Fin du Monde" ou, plutôt, la fin d’un ancien monde, d’une époque révolue ?
L’humanité se brûlera-t-elle les ailes au feu de ses passions, comme un papillon affolé par la lampe, ou s’envolera-t-elle vers son apogée, attirée par l’aube d’une ère nouvelle se levant sur le Mont Carmel ?
L’histoire ne fait que commencer…
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Siège de la MUJ
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Archives internationales
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Centre d'étude des textes
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Centre international d'enseignement
Notes
- ↑ "Le langage des néandertaliens", par B. Arensburg et A-M.Tillier,(1990) La Recherche, vol. 21, no 224, pp.1084-1086
- ↑ "La parole à la portée du conduit vocal de l'homme de Neandertal. Nouvelles recherches, nouvelles perspectives", par J-L. Heim, L.J. Boë et Ch. Abry, (2002) Comptes Rendus Palevol, Volume 1, Issue 2, pp.129-134
- ↑ 1° Livre des Rois 16/29-33 et 18/4
- ↑ 1° Livre des Rois 19/10,14
- ↑ 1° Livre des Rois 18/18 et 21/19-26
- ↑ 1° Livre des Rois 18/17-40
- ↑ Coran 6/85, 37/123-132
- ↑ Voir dans la Bible les deux Livres des Rois
- ↑ voir la "Vie des Prophètes d'Al-Kisà'i"
- ↑ 2° Livre des Rois 2/8-14
- ↑ Coran 18/65-82
- ↑ Deutéronome 14/11-14, Lévitique 11/13-15 et 1° Livre des Rois 17/2-6
- ↑ Lévitique 11 et 17/10-15, Deutéronome 14
- ↑ 2° Livre des Rois 1/8
- ↑ 1° Livre des Rois 17/2-7 et 19/9
- ↑ 1° Livre des Rois 19/8-18
- ↑ 1° Livre des Rois 17/8-24
- ↑ 1° Livre des Rois 21/1-19
- ↑ 1° LIvre des Rois 17/4-6 et 19/5-8
- ↑ 2° Livre des Rois 2/8-14
- ↑ Evangile selon St Matthieu 17/1-8, Evangile selon St Marc 9/2-8, Evangile selon Saint Luc 9/28-36
- ↑ Malachie 4/5-6
- ↑ 1° Livre des Rois 18/36-38 et 18/41-46
- ↑ 1° Livre des Rois 17/8-24, 2° Livre des Rois 1/9-15
- ↑ Encyclopaedia Universalis, Vol 4, p.1024
- ↑ P.G. t.CXXXIII Acta Sanctorum t.II maii p.I-VIII, cité dans le Dictionnaire de Théologie Catholique
- ↑ Histoire des Croisades 1829 p.89 et suivantes, cité dans le Dictionnaire de Théologie Catholique
- ↑ Epître aux Hébreux 11/37-38
- ↑ Bruno de Jésus-Marie, Etudes Carmélitaines XX p.6-7, cité dans le Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques
- ↑ Genèse 2/15
- ↑ Genèse 3/19
- ↑ 1° épître aux Corinthiens 6/19-20
- ↑ 1° Livre des Rois 19/9-18
- ↑ Esaïe 65/17-25, Apocalypse 21/1-4
- ↑ Evangile selon St Marc 8/38
- ↑ Coran 36/51, 39/69, 50/41-42, 78/17-20, 79/6-7, 82/1-4
- ↑ Esaïe 40/3-5, Malachie 3/1 et 4/5-6, Evangile selon St Matthieu 14/1-12, Evangile selon St Jean 1/6-10
- ↑ Esaïe 51/14-16
- ↑ Ezéchiel 43/1-7
- ↑ Ezéchiel 1/26-28
- ↑ Evangile selon Saint Jean 2/18-22 et 10/1-9
- ↑ Michée 7/11-15
- ↑ "Dieu passe près de nous", pp.116-124
- ↑ Esaïe 9/5-7 et 11/1-12, Evangile selon St Jean 16/12-15
- ↑ Esaïe 11/1-12, Evangile selon Saint Marc 4/26-32, Apocalypse 21 et 22
- ↑ "Dieu passe près de nous", p.346
- ↑ "Bahá'u'lláh et l'ère nouvelle", pp.259-260
- ↑ Esaïe 41/18-20
- ↑ Esaïe 60/1-3 et 13
- ↑ Esaïe 2/2
- ↑ Esaïe 1/26
- ↑ Esaïe 32/14-17